En aout 1910, à Copenhague, au cours de la Conférence Internationale des femmes socialistes (au sens de l’époque), Clara Zetkin faisait approuver la décision d’organiser chaque année une journée[1]universelle, féminine, de luttes pour les droits de la femme et pour la paix, avec au centre la lutte pour de droit de vote des femmes.[2]
Pouvait-elle imaginer la dérive mémorielle qu’allait subir cette initiative historique pour les droits des femmes.
Le poids des mots n’y est pas pour rien, car les mots ont un sens. L’adversaire de classe le sait bien. Tout ce qui peut contribuer à altérer, atténuer, dissoudre les velléités de l’action collective organisée est largement utilisé et sans répit.
Certes, le mouvement progressiste, communiste en premier lieu, s’est grandement efforcé de tenir le drapeau de l’histoire mais il a pu aussi contribuer à la dérive historique par utilisation excessive des raccourcis de langage ou d’écriture.
Ainsi, le 8 mars n’est pas la Journée de la Femme.
Le 8 mars est une journée internationale de lutte des femmes pour leurs droits fondamentaux et quotidiens.
Déjà en 1975, l’ONU contribuait à l’édulcoration en décrétant le 8 mars journée internationale des Femmes. Ainsi faisant, l’ONU évacuait toutes notions de luttes. La lutte de classes, ce n’est pas tendance.
La France en a rajouté une couche ou plutôt a en enlevé une, en 1982 en faisant du 8 mars, la Journée de la Femme. Ainsi faisant, la France persiste à ne pas évoquer l’idée de luttes, mais de plus fait passer à la trappe la notion d’internationalisme et la femme est indiquée au singulier, ce qui évacue la notion d’enjeu collectif. Les droits universels collectifs, c’est ringard. Place au « chacune pour soi ».
S’agit-il d’erreur de langage, de faute d’inattention, de querelle sémantique ? Pas du tout. Rien de gratuit et pas de hasard dans tout cela.
Clara Zetkin, militante féministe, socialiste au sens de l’époque, future militante du Parti communiste allemand, n’a jamais voulu faire du 8 mars ce qui est devenu la journée de la femme de 2014.
Est-il besoin de dire la nécessité de porter ce message de lutte, sans le dévoyer, ni le raccourcir, au détriment de la vérité historique ?
Michel Becerro
[1]Aucune date n’est fixée. La journée n’est organisée un 8 mars qu’en 1914. La date deviendra fixe à partir du 8 mars 1917 où une grande manifestation de femmes à Saint-Pétersbourg marquera le début de la révolution russe.
[2]La revendication du droit de vote est très forte. La conférence s’appuie sur l’obtention de ce droit en Finlande en 1907. Suivront en Europe : 1913 Norvège -1914 Islande -1915 Danemark - 1918 Grande-Bretagne, Suède, Allemagne, Russie soviétique, Pologne. Malgré (ou à cause) de son titre de « patrie des droits de l’homme », la France suivra bien plus tard. Il faut attendre le 24 mars 1944 pour que l’assemblée consultative provisoire réunie à Alger, adopte, par 51 voix contre 16, l’amendement déposé et défendu vigoureusement par le député communiste Fernand Grenier instaurant le vote des femmes en France.